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Défis Prométhée
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3 décembre 2006

La Chine : quelle puissance géopolitique pour demain ?

img_1Thierry Sanjuan, professeur de géographie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne et à l’EHESS – Conférence du 28 novembre 2006 à l’Institut Hongrois

Quelques repères

Depuis la fin de l’empire, la Chine connaît une période de modernisation notamment avec la politique d’ouverture et de réformes. Apparaissent alors de nouvelles logiques de positionnement mondial et la question qui émerge est de savoir comment la Chine peut devenir une puissance mondiale.

Dans les années 60, la Chine était fermée au monde. La Russie avait rompu toute relation avec elle. La Chine était alors obsédée par elle-même, par ses querelles intestines au sein du parti. La Révolution culturelle, qui commence en 1956, marquera de manière plus profonde encore son repli sur elle-même, jusqu’à la mort de Mao Zedong en 1976. A ce moment, la Chine se considère encerclée par l’Union soviétique car cette dernière a des alliés : l’Inde, le Vietnam…

Le mot d’ordre lancé en 1978 par Deng Xiaoping est « ouverture et réformes », ouverture des frontières, de manière ponctuelle et déconcentration du pouvoir de décision économique jusqu’au niveau local. La Chine importe de l’étranger sa nouvelle référence : l’économie. La Chine connaît alors une très grande croissance économique qui est encore relancée par le mot d’ordre de 1992 « l’économie de marché » avec une libéralisation du marché du travail et du logement. Lors de la crise financière asiatique en 1997-98, la Chine reste le socle solide de la région qui permet aux autres pays de ne pas sombrer.

Aujourd’hui, comme au temps de l’empire, la Chine veut devenir une grande puissance dans le monde car elle est une grande puissance en Asie. Quel est l’itinéraire géopolitique de la Chine ?

Perception traditionnelle de la Chine par elle-même

La Chine a été remise en question dans son identité propre par les guerres de l’opium (1840-1860) où elle s’est vue dominée par les puissances étrangères. La Chine qui pensait être « le monde » est devenue un simple état-nation.

La perception traditionnelle de la politique par la Chine est fondée sur un mythe. Le mythe fondateur est celui de l’unité du partage, au sein d’un vaste territoire, de mêmes valeurs, d’une même conception du monde. Elle a une vocation universelle. Les Chinois datent à 221 avant notre ère la fondation de l’Etat chinois (début de la dynastie Qin) qui doit être porteur des valeurs culturelles chinoises, mais aussi en être le défenseur et le diffuseur. Ce mythe d’un empire unificateur et universel ne sera pas remis en question avant le 19ème siècle.

La politique en Chine est avant tout cosmologique. Il s’agit d’un ordre naturel dans lequel l’homme est imbriqué. Le pouvoir politique doit réguler la société mais aussi l’ordre du monde. L’empereur prie le Ciel pour qu’il n’y ait pas de catastrophes naturelles, pas de famines. C’est ainsi que le politique prend en charge le sacré. Le confucianisme explique que chacun a sa place dans la mesure où il agit. Il n’y a donc pas de vision figée des liens sociaux. Les religions chinoises ou étrangères ne vont pas remettre en question cette structure.

Les Chinois définissent leur territoire comme ce qu’il y a sous le ciel (tianxia). Ils représentent le monde. Dans ce petit carré, le pouvoir de l’empereur est légitimé car il a le pouvoir du Ciel. Le deuxième cercle de l’identité chinoise est « la Chine des Hans » (minorité dite majoritaire aujourd’hui en Chine, elle représenterait près de 92% de la population), délimitée de manière géographique par les mers, les montagnes, les déserts et la grande muraille. Au-delà se trouvent des peuples barbares, plus ou moins cuits, c’est-à-dire plus ou moins civilisés (car celui capable de manger de la viande crue est au comble de la barbarie : les longs nez en sont un exemple). Ce sont les peuples tributaires qui doivent allégeance au pouvoir central. La Chine comme centre cosmologique (qui se nomme elle-même zhongguo : pays du milieu) laisse aux autres le soin de se positionner, uniquement par rapport à elle. (C’est un ethnocentrisme de base).

De l’empire à la République

Avant 1840, la Chine, détient le territoire que nous lui connaissons actuellement mais aussi la Mongolie, l’Asie centrale, la Birmanie, l’Indochine, la Corée. La Chine n’a pas une culture géopolitique de la délimitation précise des frontières. Dans la culture confucéenne, le rapport à l’autre est pensé à travers la hiérarchie. Il y a un supérieur et un inférieur, la Chine étant le supérieur.

Ce modèle est remis en cause par les Occidentaux. Entre 1839 et 1842, c’est la première guerre de l’opium. Elle se termine avec le traité de Nankin qui oblige les Chinois à donner Hong Kong aux britanniques et à ouvrir cinq ports au commerce extérieur : Xiamen, Shanghai, Ningbo, Fuzhou, Guangzhou (Canton). En 1858, onze ports supplémentaires sont ouverts le long du littoral et le long du Yangzi.

En Asie, les Occidentaux se heurtent aux résistances d’états constitués comme la Chine, le Japon, qu’ils ne peuvent donc pas coloniser mais dans lesquels ils vont implanter des zones d’influence. Les Allemands sont au Shandong, les Anglais à Shanghai, la France dans le sud-ouest de la Chine et à Canton, qu’ils laisseront aux nationalistes en 1947. La rhétorique d’un empire universel qui peut absorber le monde ne vaut plus. Mais comme la Chine croit à l’unité du pays, il ne peut pas y avoir deux Chines. L’état refuse tout fédéralisme formel même s’il existe nécessairement dans les faits.

Les Mandchous, au pouvoir jusque 1911, vont réformer l’empire pour qu’il soit constitutionnel. Sun Yatsen, après avoir participé au renversement de la dernière dynastie, devient le premier président de la République de Chine en 1912. Considéré comme le « père de la Chine moderne », il est aussi l’un des fondateurs du Guomindang, le parti nationaliste chinois. Les Chinois se définissent par leur population, leur nation, leur histoire, leur langue. L’idée est de retrouver la pleine souveraineté sur l’ensemble de son territoire. Vient ensuite l’épisode communiste avec, en 1949 l’instauration de la République Populaire de Chine.

Dans les années 70, quand la Chine s’ouvre à nouveau, elle se heurte à un premier problème, celui de délimiter son territoire. Les frontières actuelles des état-nations d’Asie sont en fait héritées des puissances coloniales de 19ème siècle. Ce sont les Occidentaux et les Russes qui ont délimité leurs zones d’influence. Ces traités sont considérés comme « inégaux » par les Chinois. Les frontières avec la Russie, l’Inde et le Vietnam restent terrains de litiges. La Chine qui est reconnue en 1971 par l’ONU comprend le Xinjiang, le Tibet, Taiwan… On lui a appliqué le schéma des état-nations à l’occidental.

Tensions au sujet des frontières Carte_Chine

1) Le Nord-est de la Chine et la Russie

L’ancienne Mandchourie ou l’actuel dongbei chinois (Heilongjiang, Jilin et Liaoning) est délimité par l’Amour et l’Oussouri. Mais quand l’URSS disparaît en 1991, le problème des frontières avec la Russie n’est toujours pas réglé. Dans un premier temps, les Russes vendent du savoir-faire aux Chinois pour l’exploitation des usines du nord-est puis ils les fournissent en ressources naturelles et en énergie. En échange, ils reçoivent des Chinois des produits manufacturés. Les villes chinoises ont des partenaires en Russie qui assurent une coopération transfrontalière. Un certain nombre de Chinois va aller en Russie pour travailler, notamment dans les champs mais aussi dans les sociétés de service. Ce sont eux qui font tourner la région. La fin de la guerre froide provoque une crise économique et sociale mais aussi des réactions xénophobes des Russes envers les Chinois. En 1994, les Russes réglementent la distribution des visas aux Chinois et Pékin ferme ses frontières. Poutine définit la frontière au milieu du fleuve Amour mais la question reste entière pour les îles (Bolshoï Ussuriskii et Tabarov) qui se trouvent au milieu. Il semblerait qu’elles aient été données aux Chinois en 2004.

2) Le Nord-ouest et l’Asie centrale

La province du Xinjiang, au nord-ouest de la Chine, est principalement peuplée de Ouighours, musulmans turcophones qui ont une histoire différente de celle du reste de la Chine. Mais elle est également peuplée d’une diversité de peuples : tatares, tadjiks, kirghizes, kazakhs… Cette province a une forte tendance séparatiste. Les états qui deviennent indépendants en 1991, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan posent la question de leurs frontières avec la Chine. Moscou se méfie de ces potentiels « terroristes » séparatistes. Pour neutraliser les questions de géopolitique internes, les dissidents sont renvoyés dans leur pays d’origine. Un partenariat a été établi entre l’Asie centrale, la Russie et la Chine. Le « groupe de Shanghai », comprenant la Chine, la Russie, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, s’est illustré dans ces opérations. En devenant « l’organisation de coopération de Shanghai », ce groupe s’élargit à l’Ouzbékistan et sera rejoint par la Mongolie, l’Inde, le Pakistan... Cette organisation qui fonctionne sans les Américains est un instrument de rayonnement. La Chine entre dans une logique multilatérale. Elle est en effet adepte d’un monde multipolaire. L’objectif est répressif et militaire : s’opposer aux talibans formés en Afghanistan et qui reviennent au Xinjiang.

Depuis 2001 et les évènements du 11 septembre, les troupes américaines sont partout dans la zone, autour de Taiwan mais aussi en Asie centrale. La Chine se pense encerclée par les Américains et elle n’a pas tort. L’enjeu est de contenir la Chine et de lui barrer potentiellement l’accès à l’énergie (notamment le gaz et le pétrole du Kazakhstan).

3) Le Sud et les pays asiatiques

L’Inde est envahie par la Chine en 1962 et cette dernière gardera l’Aksai Chin (région située à la jonction du Tibet, du Pakistan, et de l'Inde). A l’inverse, l’Inde possède le territoire à proximité de la ligne Mac Mahon que la Chine revendique. Cette frontière a été proclamée par le Royaume-Uni telle que séparant l'Inde britannique et le Tibet mais n’a jamais été reconnue officiellement par la Chine.

La Chine a un allier, la Birmanie où elle a des postes d’écoute. C’est aussi un accès vers l’Occident, une route qui alimente l’Asie développée et permet d’évacuer les produits manufacturés.

La Chine s’est heurtée au Vietnam et n’a pas cherché à repousser ses frontières de ce côté. La question des frontières terrestres entre ces deux pays a donc été définitivement réglée à la fin des années 90 mais il reste celle des frontières maritimes. Les îles Paracels sont revendiquées par la Chine et le Vietnam et les îles Spratleys le sont par un plus grand nombre de pays dont ces deux-là. Il s’y trouverait des ressources en hydrocarbures mais surtout la possibilité d’accroître les possessions maritimes. L’accès au détroit de Malaka est un enjeu important.

La Chine sur la scène asiatique et internationale

Dans la logique de multilatéralisme, les accords de l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) avec les trois grands Chine, Japon, Corée, tentent de créer à terme une zone de libre échange.

La question du Mékong est au cœur des préoccupations. En 1994, le Japon décide de faire du Mékong un axe de développement régional : électricité, navigabilité… Mais l’amont du Mékong est aux Chinois et ils estiment pouvoir en faire ce qu’ils veulent au mépris des conséquences en aval : pollution des eaux, barrages… Aujourd’hui, la Chine semble calmer le jeu par rapport à ses alliers.

En ce qui concerne la Corée du nord, Pékin a un devoir de tempérance. La Chine utilise la Corée du nord car elle en est l’allier et la nourrit. Elle tente de la raisonner pour qu’elle cesse l’envoi de missiles sur le Japon. La Chine ne veut ni que le Japon militarise plus la zone ni que la Corée du nord disparaisse. Si elle disparaît, il faudra négocier les frontières avec la Corée du sud. La Chine préfère donc le statu quo.

Pour son développement économique, la Chine a un besoin toujours plus important d’énergie, de développer le marché extérieur (car le marché intérieur ne l’est pas encore assez). La Chine veut s’implanter partout comme le montre le sommet sino-africain qui a eu lieu les 4 et 5 novembre 2006.

Les Chinois entretiennent avec les autres pays des rapports différents selon la proximité géographique. Les interrelations ne sont pas gratuites. Ils s’intéressent d’abord et avant tout à leurs intérêts personnels. Mais ils ne peuvent plus se passer de regarder ce qui se passe ailleurs car il y a des enjeux énergétiques importants. Il n’y a pas de principe universel qui guiderait leur action de part le monde. L’idée de démocratie, de liberté est occidentale. Les Américains réussissent à motiver des jeunes pour défendre ces valeurs à l’autre bout du monde (débarquement en Normandie, Irak).

En complément : réponse aux questions

La Chine est apparue comme un mentor du monde asiatique. Le maoïsme était un universel, avec des valeurs transférables au-delà du peuple ou du territoire chinois.

Les Chinois de la diaspora considéraient, il y a vingt ans que la Chine était inintéressante. Aujourd’hui, les jeunes de cette diaspora se définissent chinois même s’ils n’y sont jamais allés car le boom économique chinois est valorisé et valorisant. Ils apprennent le chinois pour écouter la télévision.

La Chine tient au Tibet comme au reste de son territoire. C’est l’origine des grands fleuves. Ils se réfèrent aussi à des arguments culturels, le mariage de la princesse chinoise Wencheng de la dynastie Tang avec le roi tibétain Songtsen Gampo. Cette histoire est citée afin de démontrer le bien fondé des revendications de souveraineté chinoise sur le Tibet. En outre, la Chine du 20ème siècle s’est construite sur un nationalisme, l’idée de récupérer ses territoires amputés par l’Occident. Céder d’un pouce ferait revivre le traumatisme vécu au ce moment là. La ligne ferroviaire Lhassa-Pékin, inaugurée au printemps doit permettre d’intégrer les périphéries. Les Chinois ne cherchent pas à coloniser le territoire tibétain mais procèdent d’une intégration par les villes. Ils enseignent le chinois aux jeunes tibétains qui se mettent à imiter la mode de Shanghai et se désolidarisent des valeurs traditionnelles tibétaines et du Dalaï-lama.

La Chine a la taille de l’Europe, 9,6 millions de km2. L’Occident l’a contraint de devenir un état-nation. Elle est entrée à l’OMC, dans des organisations multilatérales. Elle a un poids suffisamment important pour faire changer les règles du jeu. La Chine est présente dans notre quotidien. Il faut craindre des incidences de ses troubles internes. Il faudrait enseigner aux Chinois à apprendre de nos erreurs passées. Taiwan est la preuve de la cohabitation possible entre démocratie et monde chinois. La France (qui se dit pays des droits de l’homme) a pourtant pu les dire dissidents face à la Chine. Elle voudrait utiliser la Chine pour retrouver un destin mondial.

Pour les Chinois, le monde religieux est syncrétique, ils peuvent être à la fois bouddhistes, confucéens et taoïstes. Il est impossible de chiffrer les pratiques religieuses ou seulement par le nombre de personnes affiliées, ce qui ne reflète pas la réalité. Depuis 1981, une plus grande liberté religieuse est admise parmi les Chinois hans mais pas au Xinjiang ou au Tibet qui ont potentiellement des revendications séparatistes. Le protestantisme est plus développé que le catholicisme grâce aux évangélistes. Dans les Années 80, les Chinois reprenaient contact avec la modernité qui était la leur dans les années 20-30 (protestantisme, mode française des années 20). Le Falungong est une réponse religieuse mais surtout sociale, suite à la crise sociale des entreprises d’état, les Chinois cherchent une spiritualité que le maoïsme a dénigrée.

En Chine, politique et économie sont liés. Le parti communiste est un « parti-état ». Le développement économique des années 80 s’est fait par les autorités locales. L’état est propriétaire des entreprises donc est responsable de l’ascension économique. Le politique accompagne le développement économique car il en bénéficie. L’unité chinoise se maintient car tout ce qui est facteur d’éclatement reste en interne. L’élite, c’est le parti. Depuis 2002, le parti s’occupe du monde de l’économie, du monde du savoir et du peuple. Il ne défend plus la classe ouvrière. L’état défend les intérêts à différents niveaux : le canton, le village, la ville, le bourg… C’est une forme de contre-pouvoir. La Chine a adopté une logique de multipartis et ceux qui en sont exclus ne peuvent pas faire de propagande, ce depuis 1949. Ceux qui sont réfugiés à l’étranger n’ont pas la parole. On assiste à une démocratisation par associations. Les associations des propriétaires, depuis l’accès à la propriété privée, ont un pouvoir local, mais pas politique. Il ne s’agit donc pas réellement d’un contre-pouvoir. Le vote, au niveau du village est de l’ordre du rite. Les organisations non gouvernementales doivent être tolérées par le gouvernement…

Pour aller plus loin :

- Sur la question des relations sino-russes : rapport de Sébastien Colin, juillet 2003 :

- Dictionnaire de la Chine contemporaine, sous la direction de Thierry Sanjuan, novembre 2006, Armand Colin, Paris, 416 p.

- Toute la Chine: site en français sur l'actualité, la culture et l'histoire chinoise

Propos recueillis et mis en forme par Aurélie Delage

Crédit photo : site EHESS

; carte site Chinois de France

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